Pour la Journée mondiale contre le VIH/SIDA, l'asbl Ex Aequo dénonce les difficultés d'accès aux traitements pour les personnes sans-papiers

A l'occasion du 1er décembre, journée mondiale de lutte contre le VIH/SIDA, l'asbl Ex Aequo et ses partenaires publient une carte blanche qui dénonce les grandes difficultés d'accès aux traitements contre le VIH pour les personnes sans-papiers en Belgique.

La carte blanche d'Ex Aequo et ses partenaires

Un accès inégal aux traitements contre le VIH en Belgique

Vivre avec le VIH est une réalité rendue possible par l’accès aux thérapies antirétrovirales. Pour une personne vivant avec le VIH (PvVIH), accéder aux traitements est l’assurance d’une bonne santé, d’une espérance de vie qui rattrape celle des personnes séronégatives et d’une amélioration de la qualité de vie.

Accéder à un traitement, c’est aussi se donner la possibilité de réduire la charge virale du VIH (quantité de virus circulant dans le corps) à un niveau si bas que le virus ne peut plus être transmis par voie sexuelle. C’est le concept de traitement comme prévention, un élément incontournable pour casser la chaîne de transmission du virus et espérer mettre un terme à l’épidémie.

CHARGE VIRALE INDÉTECTABLE = ZÉRO RISQUE DE TRANSMISSION

Alors qu’une personne en ordre de mutuelle en Belgique peut parfois commencer son traitement moins de 24 heures après la découverte de sa séropositivité, les personnes sans-papiers doivent cependant encore lutter pour obtenir leur traitement chaque mois.

En dépit du dispositif qui devrait rendre possible l’accès au traitement, les personnes sans titre de séjour font face à une série d’obstacles administratifs répétés qui nuisent à une mise sous traitement rapide et à une prise quotidienne du traitement. Appelé “Aide Médicale Urgente” (AMU), ce dispositif est encadré par une série de dispositions nationales et européennes visant à garantir la couverture santé universelle à toute personne résidant en Belgique, indépendamment de son titre de séjour. Cette aide implique une prise en charge préventive et curative, incluant le dépistage et le traitement du VIH et des autres IST. Le caractère “urgent” de cette aide ne doit pas être compris au sens d’une urgence médicale, mais bien d’un “état de besoin” établi par un·e médecin. Elle est administrée au niveau local par les CPAS selon des modalités qui varient grandement d’une commune à l’autre.

Actuellement, ces procédures longues et complexes sont incompatibles avec la régularité qu’impose la prise du traitement. Il s'agit pourtant d'un facteur indispensable pour s’assurer de ne pas créer des résistances aux antirétroviraux et de garder une charge virale indétectable. Le bon état de santé des personnes et la non-transmissibilité du virus en dépendent.

Bien souvent, ces procédures nécessitent d’être disponible plusieurs demi-journées chaque mois pour visiter les différents services sociaux et médicaux requis pour accéder au traitement qui leur est vital (séquentiellement les CPAS, les maisons médicales et/ou les hôpitaux, la pharmacie). Ces lourdes démarches sont à répéter chaque trimestre, dans une langue qui n’est bien souvent pas comprise ou maitrisée des patient·es, alors que le VIH implique de vivre avec une condition chronique nécessitant un traitement à vie. Cette réalité est souvent incompatible avec la vie professionnelle des personnes sans-papiers qui n’ont généralement pas la possibilité de s’absenter pour raison médicale ni d’évoquer leur statut sérologique.

Ces démarches sont coûteuses en temps et en énergie, aussi bien pour les bénéficiaires que les services sociaux ou médicaux, ainsi que les associations communautaires qui tentent tant bien que mal de flécher les parcours et d’accompagner physiquement les bénéficiaires. Cela se fait particulièrement ressentir en Région bruxelloise, où la mobilité intercommunale est grande, un simple changement de commune obligeant les bénéficiaires à tout recommencer à zéro et à découvrir les horaires d’ouverture, les pratiques et spécificités d’un nouveau CPAS.

Face à la complexité de la procédure de demande et de renouvellement d’AMU, l’association Ex Aequo et ses partenaires réunis au sein du CPAM(1) observent fréquemment des interruptions de traitement, des décrochages et des pertes de contact chez les bénéficiaires (2), ce qui résulte trop souvent en un découragement et une baisse de l’estime de soi, de l’envie d’aller mieux et de prendre soin de soi.

Alors que l’accès aux traitements et à une charge virale indétectable sont identifiés comme des étapes clés sans lesquelles il ne sera pas possible de maîtriser l’épidémie dans les stratégies internationales de lutte contre le VIH, la Belgique a déjà été condamnée par la Cour européenne de justice du fait d’une interruption de traitement(3). Si elle veut mettre un terme au VIH, la Belgique doit pouvoir garantir aux personnes d’entrer et de rester durablement dans le parcours de soins. Il est révoltant qu’en Belgique les personnes sans-papiers vivant avec le VIH aient à subir la lourdeur des administrations qui viennent s’ajouter aux discriminations dont elles sont encore victimes(4).


Source : https://www.togetheractnow.org...

S’il est compliqué pour les personnes qui vivent avec le VIH d’accéder aux traitement, on imagine bien que la configuration de l’AMU rend ajourd’hui quasiment impossible l’accès à grande échelle des personnes sans-papiers à la prophylaxie pré-exposition (PrEP). Très efficace, ce traitement préventif contre le VIH s’adresse aux personnes séronégatives fortement exposées au VIH par voie sexuelle et constitue un autre pilier de lutte contre le VIH. Alors que Les chiffres publiés par Sciensano pour l’année 2020(5) mettaient en avant une tendance à la hausse du nombre de nouvelles contaminations au sein des populations étrangères, en particulier chez les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH), les femmes(6) et les personnes transgenres, la grande majorité des personnes sans-papiers sont actuellement privées de ce moyen de protection.

Partageant le constat de l’inefficacité de l’application actuelle de l’AMU dressé par Médecins du Monde dans une note d'interpellation(7), l’association Ex Aequo et les signataires de cette carte blanche jugent qu’il est anormal que ce dispositif soit si contraignant qu’il empêche tout travail social de qualité et que les bénéficiaires soient les premier·es à subir cette situation. A l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le VIH/sida, nous réclamons ensemble une simplification et une harmonisation de cette aide qui soit à la hauteur des défis que pose encore le VIH en 2022. La perspective d’une fin ‧de l’épidémie en dépend.

Structures signataires :

(1) Comité de pilotage et d’appui méthodologique (CPAM) des Stratégies concertées IST/VIH

(2) Les personnes perdues de vue, soit parce qu’elles ne sont jamais entrées en soins, soit parce qu’elles ne sont pas restées en soins, représentent 9%”
ÉPIDÉMIOLOGIE DU SIDA ET DE L’INFECTION À VIH EN BELGIQUE - RAPPORT 2021 ; Sciensano

(3) https://journals.openedition.o...

(4) La sérophobie en actes - Analyse des signalements pour discrimination liée au VIH/sida déposées chez Unia (2003-2014). Observatoire du sida et des sexualités. Mars 2017.

(5) ÉPIDÉMIOLOGIE DU SIDA ET DE L’INFECTION À VIH EN BELGIQUE - RAPPORT 2021 ; Sciensano

(6) https://journals.openedition.org/anneemaghreb/7979

(7) Pistes pour une harmonisation et une simplification de la procédure « Aide Médicale Urgente » (AMU) à Bruxelles ; Médecins du Monde Belgique. Juin 2022.

Les revendications

Harmonisation et simplification des procédures d’AMU entre tous les CPAS

  • documents à fournir identiques pour tous les CPAS et accessibles facilement en ligne
  • digitalisation des justificatifs

Un accueil bas seuil qui prenne en compte les réalités des bénéficiaires (liste non exhaustive) :

  • langues parlées
  • activités professionnelles
  • conditions d’hébergement
  • confidentialité
  • changement de statut juridique (sans titre de séjour, demandeur d’asile, réfugié, etc.)

Facilitation de l’accès à l’AMU pour les ex-détenu·es et garantie de la bonne continuité du traitement en post-carcéral au vu de la plus forte prévalence de l’infection au VIH en prison

Prolongation des cartes d’AMU, a fortiori pour les maladies chroniques

Meilleure communication entre les prestataires, les services de soins et les associations de soutien

Ouverture automatique du logiciel Mediprima et élargissement à des prestataires non hospitaliers

Possibilité de digitalisation des documents pour les cartes santé et les réquisitoires (sur le modèle de ce qui a été mis en place à Fedasil)

Des assistant·es sociales/sociaux référent·es VIH dans les CPAS les plus concernés, formation et contact privilégié avec les associations de terrain

Des AMU provisoires/d’urgence pour une mise sous traitement rapide

Réellement intégrer les soins préventifs comme la PrEP dans l’AMU, comme le prévoit le cadre légal.

Le témoignage de Joao

Valentin, travailleur communautaire pour l’asbl Ex Aequo raconte le témoignage de Joao. D’origine italienne, né au Brésil, il a passé près de 30 ans en Belgique sans titre de séjour. Il découvre sa séropositivité en septembre 2019 lors d’un dépistage à Ex Aequo. Il est alors envoyé de services sociaux en services médicaux et il se passe quatre mois avant qu’il puisse obtenir ses premiers médicaments. Par la suite, il doit plusieurs fois interrompre ses traitements et souffre de complications médicales, il dénonce un acharnement et de nombreuses discriminations dans les soins et les services sociaux.

Pour lui, l’AMU n’existe que pour encourager les personnes à rentrer dans leur pays d’origine ou à se laisser mourir en l’absence de traitement. L’accumulation des difficultés rencontrées ont même poussé Joao à demander l’euthanasie. “C’est une honte pour une capitale d’un pays de l’Union européenne”.

C’est grâce à sa force, sa persévérance et au soutien de quelques personnes rencontrées dans son parcours que Joao a finalement pu obtenir des traitements et un suivi régulier.

Aujourd’hui, même si sa situation est en cours de régularisation, son calvaire administratif n’est pas terminé et Joao a perdu toute confiance dans les services sociaux. Il souffre de traumatismes qui nécessitent un suivi psychologique et un accompagnement de la part de l’asbl Ex Aequo.

Pour aller plus loin

ONUSIDA : POUSSONS POUR L’ÉGALITÉ - JOURNÉE MONDIALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA 2022

À l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, le 1er décembre, l’ONUSIDA invite chacune et chacun d’entre nous à lutter contre les inégalités qui freinent les progrès pour mettre fin au sida.

Et notamment :

Renforcer la disponibilité, la qualité et la conformité des services de traitement, de dépistage et de prévention du VIH afin que tout le monde y ait accès correctement.

https://www.unaids.org/fr/2022-world-aids-day

Plan VIH 2020-2026 Belgique

Pilier prise en charge :

Contribuer à l’amélioration du continuum de soins en optimisant les étapes de la prise en charge du VIH, à savoir :

Assurer l’accès en temps voulu aux soins du VIH à toutes les personnes vivant avec le VIH diagnostiquées

Assurer le maintien des soins pour toutes les personnes ayant commencé à en bénéficier

Assurer l’accès rapide aux antirétroviraux pour toutes les personnes prises en charge

Assurer l’atteinte d’une charge virale indétectable pour toutes les personnes sous antirétroviraux

https://hiv-plan.be/fr/piliers/pilier-3-prise-en-charge/

Mediprima

MediPrima est un système informatisé qui permet la gestion électronique de l’aide médicale octroyée par les CPAS.

Ce système couvre tout le cycle des décisions de prise en charge des frais médicaux, depuis l’octroi de l’aide à la personne et son enregistrement dans une base de données par le CPAS, jusqu’au remboursement automatisé des dispensateurs de soins par la CAAMI.

Les décisions électroniques enregistrées dans MediPrima sont accessibles à tous ceux qui, dans le processus d’octroi de l’aide et de remboursement des frais médicaux, doivent les consulter. Cela permet ainsi aux prestataires de facturer leurs prestations pour un bénéficiaire de l’aide médicale aux bons débiteurs et avec les bons montants et d’être remboursé des frais éligibles dans un délai très court.

https://www.mi-is.be/fr/outils-cpas/mediprima

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